Barrios de Caracas

Modèle urbain, culture de l'urgence et population adolescente

Doc. 1

« Dans les médias (films, jeux vidéos), le gang (jeune, pauvre et noir) du bidonville (marginal et violent) est devenu la nouvelle figure du mal de proximité. Dans la vie réelle, cet outsider absolu, diabolisé, globalisé, est surtout persécuté. À sa marginalisation par le système, il répond par sa violence qui est à la fois réelle et mise en scène, mais toujours dangereuse, pour lui comme pour le reste de la société.

Pourtant, même dans la violence et le crime, le gang ne demeure un acteur urbain qui, considéré habituellement comme « périphérique » ou « marginal », n'en reste pas moins placé au centre de l'action urbaine. La ville est en effet la construction de l'ensemble des acteurs sociaux, des liens qu'ils tissent et des dynamiques qui en naissent.

De plus, au-delà de l'imagerie « gangsta » qui emprunte à de nombreuses mythologies de la grande ville, les membres du gang sont souvent des adolescents ou de jeunes hommes dont la vie est aussi faite de gestes quotidiens, domestiques, familiaux. Le gang est une famille, une équipe de basket, une petite entreprise, un atelier permanent de création, d'inventivité, de débrouille, de mille activités où l'invention et la ruse l'emportent le plus souvent sur l'usage des armes.

Ces activités se développent en étroite relation avec la ville et dépendent d'elle autant que sa fabrication peut dépendre de ces activités. Mais cette relation est conflictuelle car, dans les quartiers les plus pauvres, les gangs radicalisent les conditions de leur « participation » à un projet urbain dont l'enjeu stratégique est simple pour eux : survivre. »

-YP

Yves Pedrazzini est chercheur au Laboratoire de sociologie urbaine de l’EPFL, en Suisse. Dans le cadre du Programme national de compétences en recherche « Nord-Sud », il coordonne des travaux sur la violence et la sécurité urbaine en Afrique et en Amérique latine.

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Doc.2

« Au Venezuela, environ la moitié du nombre total de logements construits en 1990 a été édifié sur des terres occupées illégalement, appartenant en général soit à la nation et aux municipalités soit à des personnes physiques ou morales. Une faible proportion des occupants est propriétaire du terrain où le logement est construit.

Ce cadre bâti auto-produit constitue les barrios urbains. L'occupation de terrains, l'auto-production de logements et leur aménagement, par le biais d'une collaboration entre l'Etat et les usagers, ont permis aux sans-logis à faibles revenus d'avoir un logement, notamment au cours de la deuxième moitié de ce siècle (Bolívar, 1989 et Bolívar et Rosas, 1994).

Les processus d'occupation des terres urbaines ont acquis une importance croissante, quantitative et qualitative, au cours du processus d'urbanisation du pays. Les premiers barrios ont été construits au cours des années quarante et cinquante, et leur nombre a varié selon l'importance de la ville et des possibilités d'emploi.

A Caracas, la capitale, les barrios remontent aux années trente (Bolívar et Rosas, 1994). A cette époque, les barrios étaient peu nombreux, mais ils n'ont cessé de croître et aujourd'hui, selon les chiffres officiels du "inventario" national de barrios, 41 % de la population y habitent (Fundacomun, Ocei, 1993).

Bien que la moitié environ des familles urbaines vive dans des barrios et que ces barrios aient été construits sur des terrains n'appartenant pas à ceux qui les occupent, aucune reconnaissance légale n'est encore intervenue à ce jour. Dans certains cas, plutôt rares, les propriétaires des constructions ont acheté le terrain. Néanmoins, la plupart des barrios de Caracas se trouve en dehors des lois et des réglementations qui régissent les constructions urbaines (Bolívar, 1987).

Même si la récente "Ley organica de ordenacion urbanistica" (1987) permet d'intégrer les barrios à la structure urbaine des villes et métropoles, les plans d'urbanisme les ignorent encore. C'est pourtant une partie incontournable de la ville.

Ces personnes qui transgressent les lois et réglementations urbaines ont, dans la pratique, créé, voire imposé, des modes et des mécanismes de construction des métropoles contemporaines, produisant une situation de pluralisme juridique (Azuela, 1994). »

-TB

Teolinda Bolívar, architecte, enseigne à la Faculté d'Architecture et d'Urbanisme de l'Université de Caracas. Elle participe également aux travaux de l'Association de Recherche et de Coopération Internationales fondée par Paul-Henry Chombart de Lauwe. Ses travaux de recherches dans les barrios de Caracas ont servi de support à la tenue d'un séminaire international sur les régularisations de propriété dans le cadre de la Fondation pour le progrès de l'homme.

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Doc. 3

« El Caracazo1 de 1989 est passé à l’histoire comme un bouleversement sociétal majeur qui a concentré des émeutes généralisées, une répression meurtrière et la mise en visibilité sans précédent de l’extrême vulnérabilité de la cité. Cet événement non seulement a secoué les structures sociales et politiques de la société vénézuélienne, mais a encouragé également le déclin d’une distribution métropolitaine basée traditionnellement sur la contiguïté socio-spatiale des différentes classes sociales.

La gestion contemporaine des problèmes de violence urbaine (dans leur capacité à produire de l’insécurité et un éventail de sentiments s’y rapportant) s’est traduit depuis par le développement intensif d’une urbanité privative. Cette forme élémentaire de l’urbanité acquiert progressivement une légitimité territoriale et sociopolitique basée sur des présupposés moraux ordinaires, des figures juridiques et institutionnelles, des découpages géographiques et des objets urbanistiques.

Elle se rend perceptible notamment dans l’environnement des ensembles résidentiels sécurisés»

-PJGS

Pedro José Garcia Sanchez est sociologue et maître de conférence, à l’Université Paris X. Il collabore au Groupe de sociologie politique et morale. Il a longuement étudié les transformations et en particlulier la privatisation de l’espace publique dans la métropole contemporaine.

Il est l’auteur, entre autres, de « La forme privative de l’urbanité : emprise sécuritaire et homogénéisation socio-spatiale à Caracas », L’Espace Géographique, dossier Ensembles résidentiels fermés, n°2, 114-130.


  1. Pendant deux jours, les 27 février et 28 février 1989, le peuple se soulève à Caracas et aux alentours, suite à une explosion des tarifs, notamment des transports en commun et les réformes économiques inspirés par le néolibéralisme, suite à des accords avec le Fonds monétaire international.