Asleep

Asleep est une série photographique réalisée dans les jardins du Bourget, sur les rives du lac Léman, à Lausanne, en 2004 et 2005.

Pendant les mois d'été, en fin de semaine, ces espaces gazonnés sont le théâtre de festivités nocturnes. Des groupes d'étudiants ou d'apprentis célèbrent le succès de leurs examens et l'arrivée prochaine des vacances, dans les vapeurs d'alcool et la fumée qui fait rire.

Le lendemain, avant le lever du soleil, on peut découvrir leurs corps abandonnés sur les pelouses couvertes de détritus. Leur position est étrange; ils semblent statufiés par la fatigue et l'ivresse. Certains esquissent un geste ultime de protection ou de confort, une mince couverture drapant leurs épaules. D'autres n'en ont pas eu le temps. Ils évoquent les silhouettes grossières des cadavres extraits des ruines de Pompéi.

Sur les images, on découvre ces figures humaines, en situation dans le paysage organisé du jardin. Cet espace naturel aménagé structure le regard et le pousse à la contemplation. On pense aux Rêveries de Rousseau, mais l’abandon sensuel et morbide des corps suggèrent plutôt le Dormeur du Val de Rimbaud. Cette relation entre la figure humaine et le paysage produit un effet de contamination qui projette les personnages dans une dimension organique et sauvage. La mère nature joue son rôle protecteur et paisible devant la passion des hommes. Les corps s'abandonnent, les volontés cèdent, les esprits s'évanouissent et acceptent leur retour à la terre nourricière.

Cette petite mort représente aussi un rite initiatique, une épreuve de passage. Pour une jeune population citadine élevée dans l'abondance et le confort, des sensations comme la fatigue, le froid ou la dureté d'une couche sommaire, sont perçues comme des expériences primaires et essentielles, qui renvoient a une existence originelle. Cette notion d'Eden s'associe à des concepts comme la liberté, l'amour ou l'espoir, particulièrement prégnants a cette étape de la vie.

Le passage de l'enfance vers l'âge adulte peut ainsi se ritualiser dans ce paysage naturel aménagé. Cette jeunesse qui a depuis longtemps rompu ses liens avec la terre vient rejouer, dans un décor naturel, sa condition humaine originelle. On y recouvre les sensations de l’homme sauvage qui danse, boit, s'abrutit, délire, rêve, et finit, au matin, par goûter à la magie de petit jour, celle où, en se jetant à l'eau, il nous semble plonger dans le ciel.

-NS